Portrait

Ils font l'Université de Lyon : Louise Chabert

Le 31 août 2020

Pose de la première pierre de la Maison Babayagas © Est Metropole Habitat
Pose de la première pierre de la Maison Babayagas © Est Metropole Habitat

L'Université de Lyon est partie à la rencontre de Louise Chabert, étudiante à l’Université Jean Moulin Lyon 3 qui a choisi de terminer son cursus avec un stage Boutique des sciences de l'Université de Lyon pour mettre ses compétences au service de l’inventivité sociale.

En mars 2020, Louise Chabert, étudiante en Master Éthique, écologie et développement durable à l’Université Jean Moulin Lyon 3, intégre l’« Oasis des Babayagas de Saint-Priest », une association qui promeut la création et la construction d'un lieu de vie pour retraitées valides et autonomes mais seules, isolées et possédant une faible retraite...
 

En quoi consiste votre étude Boutique des sciences ?


L’association « Oasis des Babayagas de Saint-Priest » est née dans la continuité des Babayagas de Montreuil, une sorte de "contre-Ehpad". Elle est constituée d’une vingtaine de personnes qui s’adonnent depuis 2009 à créer une Maison qui a pour objectif de vivre la vieillesse dans l’amitié, la solidarité, la citoyenneté, même en cas de petits moyens. Située au coeur de la ville Saint-Priest, la résidence regroupera 20 logements sociaux, auxquels s’ajoutent 100 m2 de salle commune, un jardin, une terrasse collective et des passerelles pour vivre la convivialité du quotidien. Financé et conçu en partenariat avec des services et des pouvoirs publics (Est Métropole Habitat [OPH], Mairie de Saint-Priest, Lyon Métropole Habitat etc.), le projet est encore en évolution.
L’association a choisi d’être accompagnée par la Boutique des sciences pour dresser la synthèse du parcours mené, et ce, grâce à des récits oraux, offerts par les Babayagas, mais aussi des documents mis à disposition par les différents partenaires du projet. Leur question portait sur la transmission de leur histoire et valeurs et depuis le début de cette mission de nombreux points du projet ont pu être précisés (son statut, son sens, ses valeurs etc.), sa chronologie a été reprise et un organigramme a été construit. La synthèse de ce travail sera présentée sous la forme d’une exposition co-construite par moi-même et les Babayagas dans un objectif de transmission, d’échange et de rencontre.
Pour finir, cette étude a aussi alimenté mon mémoire de recherche en philosophie portant sur les récits et discours sur l’autonomie des personnes retraitées et vieillissantes.

Comment avez-vous adapté votre mission avec la situation sanitaire du printemps ?


L’association des Babayagas de Saint-Priest est majoritairement constituée de personnes non-informatisées. Pas de rencontre en visio, pas d’échange par mail pour nous. Utiliser la voie épistolaire a été la première piste, en imaginant que la parole pouvait trouver plus de liberté sur une feuille de papier. Or, au sein de l’association, l’écriture n’est pas une évidence. Issues de milieux populaires, parfois nées dans l’entre-deux-guerres, la plupart des Babayagas n'ont pas beaucoup fréquenté l’école, et craignent aujourd’hui pour leur orthographe, leur écriture… J’ai donc dû imaginer comment valoriser une culture de l’oralité pendant une période de confinement. Le téléphone fut finalement le meilleur des alliés. Les échanges ont été agréablement surprenants, tant par leur l’aisance que par leur contenu. Ainsi, de nombreux récits de vie, réécris soigneusement à la fin de chaque appel, ont été collectés. Finalement, le téléphone offre une atmosphère d’intimité. Les Babayagas se sont montrés très à l’aise avec ce mode de communication. Avec le recul, l’absence de regard est peut-être ce qui a permis, entre autres, cette aisance. Les relations n'ont ainsi pas été guidées par les apparences, mais seulement par le contenu des échanges. De cette façon, la question de l’âge, le leur comme le mien, n’était plus une barrière.  
Du fait de cette situation sanitaire, il a été en revanche très difficile d’appréhender les dynamiques collectives de l’association même si des rencontres en petits groupes ont été possibles.


En quoi cette étude peut-elle faire évoluer la question de l'habitat pour les séniors ?

Plutôt que le terme de seniors, nous parlons plutôt avec les Babayagas de personnes vieillissantes : comme nous le sommes tous, toute notre vie. Cette appellation permet d’échapper à une catégorisation stricte. Pour ma part, j’apprécie aussi le terme de « retraités », qui exprime un statut juridique tout en recouvrant une réalité large d’individus. Car l’enjeu autour de l’appellation est le même que celui autour de l’habitat : se sentir piégée (puisque particulièrement en tant que femmes) dans un univers chargé de représentations qui ne correspondent pas à ce que l’on désire pour soi-même.   
Les Babayagas de Saint-Priest insistent sur le fait que leur projet est né en réaction aux structures dédiées aux personnes âgées, jugées à la fois infantilisantes et trop chères. Une destination que ces personnes ne souhaitent ni pour elles-mêmes, ni pour l’investissement que cela requiert de la part de leurs proches. Ajoutons à tout cela un vécu, souvent difficile, comme l’accompagnement d’un parent ou d’un conjoint dans sa vie en institution. De cette façon, les membres de l’Association des Babayagas ont pu pointer dans un même mouvement ce qu’elles désiraient ou non pour vivre leur retraite et leur vieillissement.  
Les Babayagas font évoluer la question de l’habitat pour les personnes vieillissantes en mettant d’une part en lumière la perte de maîtrise liée à la prise en charge de la vieillesse et de l’autre, la volonté de faire du vieillissement une tranche de vie choisie et non subie. Plus encore, les Babayagas ont mis en forme leurs désirs, offrant un modèle duplicable, et en même temps toujours unique puisque chaque association possède sa propre charte.  
Ce qui est particulièrement important, c’est que ce lieu fut co-conçu par les membres de l’Association, Est Métropole Habitat et l’architecte. De cette façon, la parole des personnes concernées est exprimée et entendue, et non pas déléguée à des représentants spécialistes : un détour qui entraîne souvent une déformation et une rationalisation des besoins, et ainsi engendrer des souffrances.
S’il ne faut retenir qu’une seule chose de ce stage : construisons le vieillissement main dans la main avec les personnes âgées, ne leur ôtons pas leur dignité, leurs savoirs et leur parole !