Portrait | Recherche, Environnement, Sciences exactes

Ils font l'Université de Lyon : portrait de Margarida Costa Gomes

Le 15 juin 2020

Vincent Moncorgé
Vincent Moncorgé

Agnès Vernet, journaliste scientifique, a rencontré pour l’Université de Lyon les lauréats de l'appel à projets IDEXLYON Fellowships. Découvrez le premier portrait de la brillante chercheuse luso-française Margarida Costa Gomes.

DE LA THERMODYNAMIQUE ET DU CHIC

Au croisement de la modélisation, des sciences expérimentales et de la chimie théorique, les travaux de Margarida Costa Gomes façonnent les procédés industriels de demain et répondent avec élégance aux besoins de développement durable.

On peut s’engager dans les sciences par goût de l’esthétisme. Le parcours de Margarida Costa Gomes le prouve. « Je trouvais l’architecture industrielle jolie… J’étais intriguée par le fait qu’on pouvait construire des choses complexes à partir de simples blocs », évoque-t-elle pour expliquer pourquoi elle s’est intéressée dès le lycée à la chimie avant d’intégrer la prestigieuse Universidade Técnica de Lisboa (Université Technique de Lisbonne) dans la filière génie chimique. Cette inclinaison pour les assemblages et leurs propriétés, la conduit, après une thèse, dans une autre célèbre école européenne d’ingénieurs, l’Imperial College of London puis, plus récemment, au prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) aux États-Unis. À chaque fois, ce fut une rencontre avec la thermodynamique.

« La théorie physique de la thermodynamique remonte au 19e siècle. Albert Einstein la qualifiait de théorie physique dont les concepts de base ne seraient jamais mis en cause », s’amuse à raconter la chimiste pour introduire sa discipline. En effet, la thermodynamique conserve des enjeux très modernes. Indispensable aux industriels pour optimiser leurs procédés, elle participe, à l’aube du 21e siècle, à un virage décisif : le développement de la chimie verte qui promet maîtriser la consommation d’énergie et la pollution engendrées par la chimie.

En parallèle, l’essor des modélisations informatiques permet d’envisager la thermodynamique sous un nouvel angle, à une nouvelle échelle : du point de vue moléculaire. Margarida imagine alors des procédés chimiques sous trois optiques complémentaires : la thermodynamique macromoléculaire expérimentale, son pendant théorique et sa modélisation. À l’intersection de ces axes de recherche, il semble possible de comprendre comment les molécules interagissent au cours des procédés. Cette idée soutiendra sa candidature au CNRS, un succès dès la première tentative en 1998, et son arrivée à l’université de Clermont-Ferrand qui héberge alors un des groupes les plus en pointe en la matière.

Ce succès ne doit probablement rien au hasard. Dès le premier contact avec Margarida Costa Gomes, il apparait qu’elle a renoncé à toute négligence. Tenue et français impeccables – malgré ce que lui disent ses enfants –, bureau décoré avec élégance, laboratoire nickel et chaleureux… tout trahit le soin que la scientifique luso-française met en toute chose.

Cette qualité, précieuse en sciences expérimentales, a sans doute nourrit ses réussites. Son travail se fait remarquer et une médaille de bronze du CNRS la distingue en 2003. « Quand j’ai reçu l’email, j’ai cru à un spam », se souvient-elle. Modeste ? C’est pourtant bien son approche prometteuse et résolument tournée vers l’avenir que reconnait l’institution française.
La théorie physique de la thermodynamique remonte au 19e siècle. Albert Einstein la qualifiait de théorie physique dont les concepts de base ne seraient jamais mis en cause.
Car pour se réinventer, la chimie a besoin de nouvelles matières et, en particulier, de nouveaux solvants. C’est ce que Margarida Costa Gomes prépare. « J’ai commencé à travailler sur des liquides composés seulement d’ions et qui ne s’évaporent pas ». Avec leurs ions volumineux, ces « liquides ioniques » sont de curieux objets chimiques dont les caractéristiques intéressent beaucoup l’industrie. « On peut les composer à façon, mélanger différents ions positifs et négatifs pour faire varier leurs propriétés. », explique la chimiste. Ils donnent ainsi accès à la mise en œuvre d’opérations chimiques complexes en conditions douces. « Grâce à eux, on peut par exemple dissoudre et transformer le bois à températures modérées sans catalyseurs ni acides ni autres produits polluants », énonce-t-elle.

Or, la thermodynamique moléculaire est un outil puissant de la recherche fondamentale pour expliquer les propriétés de ces liquides. Et la formation de Margarida est une chance pour les étudier. De son passé d’ingénieure, elle a gardé une culture de la construction et elle fabrique ses propres machines expérimentales afin de tester ses théories. Elle travaille ainsi en étroite collaboration avec un atelier de verrerie pour la manufacture de systèmes sur mesure, lesquels lui permettent d’accéder aux propriétés des liquides ioniques et d’étudier leurs comportements sous différentes conditions.

Grâce à l'appel à projets Fellowships de l’IDEXLYON, et son emménagement à l’ENS de Lyon, elle installe son expertise dans un haut lieu de la chimie mondiale. Ce nouveau départ lui offre l’opportunité de s’investir sur un type de liquide ionique encore émergent : les liquides poreux, dans lesquels les ions qui les composent s’organisent en réseau pour former des pores. Ils présentent ainsi des propriétés solvantes exceptionnelles, notamment pour dissoudre des gaz – comme le CO2 ou le méthane dont on connait la propension à accroître l’effet de serre lorsqu’ils sont libérés dans l’atmosphère – mais aussi pour réussir à recycler des textiles complexes comme le goretex®.

Les travaux de Margarida sont ainsi à l’avant-garde d’une industrie moins polluante. Ils répondent à des problématiques sensibles et de portée mondiale. Elle reconnait facilement ce goût pour les questions concrètes : « C’est peut-être le fait d’embrasser plusieurs cultures … Cela donne l’envie d’ancrer ses travaux dans la société, de répondre à des préoccupations sociétales ». Elégante, on vous dit.

Réalisé par Agnès Vernet, pour l'Université de Lyon | Mai 2020