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Ils font l'Université de Lyon : interview d'Ivan Bittar, en mission de tutorat et enseignement pour la Filière francophone à Shanghai

Le 2 décembre 2020

Alliance Chine

La mission d’un an de tutorat et d’enseignement d’Ivan Bittar à l’École médicale francophone constitue une action de la Filière médicale francophone à Shanghai gérée par l’Université de Lyon et financée par la Région Auvergne-Rhône-Alpes.

Comment avez-vous eu connaissance de ce programme de mobilité et quelles ont été
vos motivations ?

L'interne qui a participé au programme l'année précédente, avait posté un message sur le groupe Facebook des internes de Lyon en décrivant le déroulement de cette mission. J’ai donc beaucoup discuté avec mon prédécesseur qui était encore à Shanghai pour savoir précisément ce qui était attendu lors de cette mission et avoir son ressenti. Le fait de mettre en pause mon internat, et partir à l’étranger tout en continuant d’être rémunéré m’a paru particulièrement intéressant. J'ai candidaté car j'avais depuis plusieurs années l'envie, d'une part de sortir un peu du parcours classique et tout tracé des études de médecine, mais également d'aller dans un autre pays, pas seulement pour y faire du tourisme, mais pour y vivre et m'imprégner de sa culture. De plus lorsque j’étais en 5e année, j'avais déjà effectué un stage d'externat d’un mois en Chine à l’Hôpital Sino-Français de Suzhou (tout près de Shanghai) dont j'ai gardé un très bon souvenir. J’avais alors pu découvrir le fonctionnement de l’hôpital et des études de médecine en Chine, et suivre quelques consultations.

Comment avez-vous été sélectionné pour réaliser cette mission ?

Pour être sélectionné, j’ai simplement contacté les responsables de la mission, notamment le Pr. Patrick Mertens, avec qui j'ai eu un entretien pour discuter de mes motivations et en apprendre plus sur cette initiative. Ce dernier m’a exposé les détails de la mission qui consistaient à établir des cas cliniques de tutorat en français aux étudiants chinois, à animer un espace francophone plutôt axé sur la culture française non médicale, et à préparer la venue en France des internes chinois volontaires pour l’année 2020-2021. Environ un mois après mon entretien, j’obtenais officiellement le poste pour 2019-2020. Il n'y a donc pas eu de démarche particulière à effectuer (concours etc.).


Quel a été le quotidien de votre séjour ?

Je suis très content de l’accueil reçu sur place et de l’accompagnement dont j’ai bénéficié dans chacune des étapes nécessaires à mon séjour.
Ma mission a consisté à assurer un rôle de tuteur pour les différentes promotions des étudiants chinois de la filière francophone. Ma tâche principale était de préparer des cas cliniques en français pour les pousser à pratiquer un français médical qu'ils n'ont appris que de façon théorique. Je leur ai enseigné la méthodologie à mettre en œuvre dans des situations cliniques de base, les démarches pratiques à réaliser lors de la prise en charge du patient (quels sont les signes essentiels à rechercher, quels sont les examens à demander, etc..). L’application de cette méthodologie était d’autant plus importante pour les candidats à un stage d’internat en France. J’ai d’ailleurs été content de constater lors de l’examen de la promotion de 6e année qu’ils avaient bien appliqué les conseils abordés en cours. Cela a également été noté par les professeurs qui semblent avoir été très satisfaits du niveau général.
J'ai également beaucoup interagi avec mes collègues chinoises qui s'occupent de la gestion des étudiants de cette filière, mais aussi avec certains professeurs chinois puisque la mission a aussi consisté à préparer des sujets d'examen, à corriger les copies et à participer à des jurys d'examens oraux.


Pensez-vous que l’approche de la médecine et son enseignement entre la France et la Chine soit différente ?

Le système de santé chinois est très différent du système français. Pas tant au niveau technique, mais surtout au niveau de son organisation. Par exemple, il y a peu de médecine libérale avec des cabinets médicaux en Chine, tout se passe dans des hôpitaux ou des cliniques plus ou moins importantes. Les patients s’y rendent et font les examens nécessaires sur place. De même, une consultation de 15-20 minutes avec un médecin est difficilement envisageable dans les grandes villes en Chine, les consultations sont une vraie usine où les médecins voient plus de 100-150 patients dans la journée, avec souvent 2-3 minutes par patient. C’est donc assez perturbant et il est difficile pour nous de comprendre comment ils peuvent faire de la médecine avec des consultations aussi courtes, mais d’un autre côté nous n’avons pas la même population. Le sujet est vaste mais il semble que cela soit en partie dû au fait que les grands centres drainent beaucoup de patients au détriment des plus petits (peut-être par manque de confiance des patients dans ces derniers). En tout cas on ne voit plus les choses de la même façon en rentrant en France.
Par ailleurs, l’enseignement de la médecine est différent, durant les stages d’externats, les étudiants réalisent des prises de sang, prennent la tension et la saturation, suivent chaque jour une visite professorale assez académique (le professeur voit les patients et tous les étudiants le suivent), et révisent leurs cours. Quant aux nouveaux internes, ils sont moins responsabilisés qu’en France. Ils s’occupent par exemple des pansements post-chirurgicaux alors qu’en France c’est plutôt le rôle des infirmières. Ils suivent leur senior pour la prise en charge de leurs patients et les prescriptions, mais sans vraiment s’en occuper eux-mêmes au début.


Quel bilan faites-vous de cette expérience ?

Cette mission nécessite de faire une pause d’un an dans l’internat de médecine, et donc de demander deux semestres de disponibilité. Personnellement, je n’avais pas encore commencé ma thèse à ce moment-là, et je trouve que cela a été plutôt agréable de ne pas avoir à y penser durant cette année. Ceci dit, il est possible de continuer sa thèse en même temps puisque cela a été fait par certains de mes prédécesseurs.
Je garde un très bon souvenir de cette expérience, qui m'a permis de prendre du recul sur l'internat tout en gardant un pied dans la médecine. Le fait d'expliquer les choses à des étudiants, surtout non français, impose en effet d'avoir une autre approche, il ne suffit pas de comprendre, il faut surtout arriver à faire comprendre. Il a notamment fallu passer  par une adaptation importante du vocabulaire, des comparaisons pouvant paraître un peu bêtes, avec l’utilisation de nombreux gestes, d’onomatopées, montrer les choses sur soi-même, l’adaptation des diaporamas avec des schémas, des dessins, des photos, etc.
La pandémie a également été l’occasion de témoigner des efforts effectués par l’École médicale francophone pour mettre en place des adaptations afin de continuer ce programme. Elle a par exemple mis en place des cours en ligne sans lesquels la plupart des enseignements n’auraient pas eu lieu. Il a également été possible de faire passer les examens rédactionnels aux étudiants de 6e année sur ordinateur, de façon à pouvoir envoyer toutes les copies par mail aux différents correcteurs, et les examens oraux en vidéoconférence, de telle sorte que l’examen s’est globalement passé « presque » normalement.
Cette expérience enrichissante m'incite à réitérer une expérience similaire dans d’autres pays, mais peut-être après la fin de mon internat. Cela influencera probablement ma carrière d’une quelconque manière car cela m'a encore plus donné envie de sortir des sentiers battus !