Publié le 28 février 2020 | Mis à jour le 9 juillet 2021

Sur les traces des particules fantômes

Interview par un journaliste scientifique de Julien BILLARD, Chercheur, IN2P3

Interview par un journaliste scientifique de Julien BILLARD, Chercheur, IN2P3

Notre Univers est composé d’environ 80% d’une matière que l’on ne connait pas, et que l’on appelle la matière noire. Son existence est uniquement signalée par son pouvoir d’attraction gravitationnelle. Puisqu’elle est invisible, les scientifiques la supposent constituée de particules exotiques n’interagissant que très faiblement avec la matière ordinaire, et n’ayant pas de charge électrique. Ce postulat expliquerait qu’elle n’ait, pour l’instant, jamais été détectée. En ce sens, la matière noire présente des points communs avec le neutrino, une particule du Modèle Standard encore très mystérieuse, très difficile à détecter de par sa faible interaction avec la matière, et également dépourvue de charge électrique.

 Comment détecter ces particules fantômes ?

 Des particules telles que le neutrino, ou celles composant la matière noire, traversent notre planète comme si cette dernière était transparente, en n’interagissant quasi jamais avec les atomes qui la compose. Pour espérer en « attraper », il est donc nécessaire de construire des détecteurs très sensibles et massifs, avec des matériaux adaptés et de basse radioactivité. C’est le cas du germanium, un cristal qui, à très faible température, a une très bonne capacité à vibrer et à s’échauffer à la suite d’interactions avec ces particules mystérieuses.  

le cryostat à dilution, le blindage de plomb, et les détecteurs montés sur l’étage le plus froid (le plus bas) dans une tour suspendue
le cryostat à dilution, le blindage de plomb, et les détecteurs montés sur l’étage le plus froid (le plus bas) dans une tour suspendue
Grâce au financement du LabEX LIO, l’Institut de Physique des 2 Infinis (IP2I) de Lyon s’est équipé d’un laboratoire cryogénique de pointe permettant la construction et la mise à l’épreuve de détecteurs nécessitant des températures très basses (de l’ordre de 10 millièmes de degrés au-dessus du zéro absolu).
Autre caractéristique : le cryostat de l’IP2I se démarque par un niveau de vibration le plus bas au monde, permettant ainsi d’optimiser les performances des détecteurs étudiés.
Un seuil en énergie record de 50 eV (électronvolt), sur un cristal massif de 33.4 g, a ainsi était obtenu en janvier 2019 permettant alors de sonder de nouveaux modèles de matière noire depuis l’IP2I.

Les équipes qui travaillent sur le cryostat LIO de l’IP2I font partie de deux collaborations internationales : l’expérience EDELWEISS et l’expérience Ricochet.

 EDELWEISS : vers la première détection directe de matière noire ?

 Précisément, l’équipe MANOIR de l’IP2I fait de la recherche et du développement pour concevoir des détecteurs de plus en plus performants. Ceux-ci sont ensuite envoyés dans le laboratoire souterrain de Modane (LSM), en Savoie, où les équipes de l’expérience EDELWEISS tentent de déceler la présence de particules de matière noire, sous 1 780 mètres de roche, à l’abris des rayons cosmiques qui risqueraient de dissimuler le rare signal de matière noire.

 Ricochet : mieux comprendre les neutrinos

Quant à Ricochet, il s’agit d’une expérience utilisant la même technologie de détection, mais dans le cadre de l’étude de l’interaction entre un neutrino et un noyau . L’observation de ces interactions fournira une nouvelle façon d’explorer les propriétés encore mystérieuses du neutrino. Ricochet sera installé à 8 mètres du réacteur nucléaire de l’ILL à Grenoble à l’horizon 2023.

L’équipe MANOIR de l’IP2I bénéficie depuis 2019 d’un financement européen (ERC) afin de développer la future génération de détecteurs cryogéniques qui permettra d’étudier avec précision cette interaction encore peu connue. Conduites par 9 instituts en France, Russie et USA, dont l’IP2I, ces investigations pourraient permettre d’éclairer les nombreuses zones d’ombre qui subsistent sur la composition et les origines de l’Univers.