Publié le 28 février 2020 | Mis à jour le 9 juillet 2021

Un détecteur TPC ultra-performant à l’assaut des neutrinos

Interview par un journaliste scientifique de Dario AUTIERO, Chercheur, IN2P3

Les neutrinos, et pourquoi on veut les détecter

Les neutrinos sont les particules fondamentales les plus mystérieuses de la physique des particules. Dépourvues de charge électrique, et de masse pratiquement nulle, elles n’interagissent que très rarement avec la matière, ce qui les rend extrêmement difficiles à détecter et à étudier. Les quelques découvertes faites à leur sujet laissent toutefois entrevoir des caractéristiques atypiques, aux antipodes des autres particules, et remettant en question les fondements même du Modèle Standard. Des études récentes ont en effet apporté la preuve de ses limites, en prouvant que la particule a une masse différente de zéro. Ces spécificités pourraient peut-être justifier des facteurs manquants à l’éclaircissement de questions fondamentales sur la composition et les origines de l’Univers.

 Qu’est-ce qu’un détecteur TPC à argon liquide ?

En traversant notre planète, seul un neutrino sur dix milliards entre en interaction avec un atome. Pour avoir une chance d’en « attraper » un, il est donc nécessaire de construire des détecteurs immenses, composés d’un matériau cible particulièrement sensible, généralement un liquide. Les plus performants au monde contiennent de l’argon, un gaz qui, à une température cryogénique, passe à l’état liquide. Quand un neutrino entre en collision avec l’un des atomes de l’argon liquide, des particules chargées sont produites qui entrainent une ionisation en chaine. Cette réaction permet ensuite de reconstruire avec précision en 3 D la trajectoire de toutes les particules impliquées, et ainsi de mettre en évidence, non seulement la présence d’un neutrino, mais également certaines de ses caractéristiques.

Grâce au financement du Labex LIO, l’Institut de physique nucléaire de Lyon (IPNL) est le seul laboratoire français équipé d’un tel prototype de détecteur (200 litres d’argon liquide) et de l’infrastructure associée. Il est utilisé pour des essais très pointus dans le cadre de travaux de recherche et développement pour la construction de prototypes plus grands, au CERN d’abord, puis, à terme, aux États-Unis. Plusieurs équipes françaises sont en effet impliquées avec l’IPNL dans la préparation du projet international DUNE : la construction d’un détecteur de neutrinos géant d’ici à 2026 au Fermilab, près de Chicago. Le prototype de 700 tonnes protoDUNE, construit au CERN grâce à l'électronique de lecture élaborée avec le LABEX LIO, est en fonctionnement depuis août 2019.

 DUNE : le détecteur le plus complexe de la physique des particules

Interactions de rayons cosmiques détectées grâce au détecteur protoDUNE au CERN, construit avec de l'électronique développée à l'IP2I, grâce au LabEx LIO
Interactions de rayons cosmiques détectées grâce au détecteur protoDUNE au CERN, construit avec de l'électronique développée à l'IP2I, grâce au LabEx LIO

Le projet DUNE (Deep Underground Neutrino Experiment) constitue l’une des plus importantes expériences jamais réalisées en physique des particules. L’un des deux détecteurs de l’expérience – qui sera placé à 1300 km de la source de neutrinos la plus puissante du monde (celle du Fermilab), et à 1500 m de profondeur –, utilisera une technologie très similaire à celle du laboratoire de l’IPNL, mais à une échelle jamais vue auparavant. Il contiendra 4 modules, chacun contenant 10 000 tonnes d’argon liquide.

Vers des réponses au mystère de l’asymétrie matière-antimatière ?

Une meilleure connaissance du neutrino pourrait bien nous apporter la réponse à l’un des plus grands mystères de la cosmologie : l’asymétrie matière-antimatière. Selon le Modèle Standard, le Big Bang aurait dû créer, dans l’Univers primordial, autant de particules de matière que de particules d’antimatière (leurs homologues de même masse, mais de charge opposée). Or, on ne voit, dans l’Univers visible, que très peu de particules d’antimatière. Cette énigme pourrait s’expliquer par notre méconnaissance des neutrinos et de leurs comportements surprenants. 

Le laboratoire d'argon liquide à l'IP2I
Le laboratoire d'argon liquide à l'IP2I